J’ai passé plus de vingt ans à colorer chez Hermès et une quinzaine d’années supplémentaires à peindre. Si ces années font de moi une coloriste expérimentée, elles témoignent avant tout de mon amour profond pour la couleur. Je les manipule chaque jour depuis 35 ans, je les mélange, je les déguste, je les associe, je les tartouille, je les cuisine et les croque sans réserve. Sans jamais me lasser. Je les sens vibrer, elles m’émeuvent et me procurent une joie infinie.

Ma chance est d’être sculpteur de formation, j’ai ainsi pu aborder le travail de la couleur affranchie de tout dogme. Seuls l’expérimentation, le travail assidu et la fréquentation des musées m’ont instruite. Jamais je n’ai voulu appartenir à ce microcosme parisien détenteur de l’élégance et du raffinement… Jamais je ne me laisserai influencer par les bureaux de tendances… Une année une couleur est portée aux nues, une autre elle est conspuée… alors qu’en réalité, toutes sont belles, l’air du temps n’a jamais fait la beauté d’une teinte.
A l’époque chez Hermès, les instructions pour la coloration étaient d’en faire pour tous les goûts : classique, pop, tendre, punk, girly… pour la bourgeoise française, la jeune milliardaire russe, la japonaise traditionnelle, le clubbeur d’Ibiza, l’africaine entre deux avions, la star californienne ou la reine d’Angleterre… La biodiversité avant l’heure, tout le monde avait raison et personne n’était méprisé.
Ensuite, il ne faut pas être trop angélique, oui, certaines associations sont malheureuses, voire très malheureuses, mais aucune couleur à proprement parler n’est à rejeter ou à bannir. Et ce qui rend les choses si vivantes, c’est que les couleurs n’existent que les unes par rapport aux autres. Une teinte ne vibre pas de la même façon selon qu’elle côtoie telle ou telle autre couleur et à quelle proportion. Un même blanc posé à côté d’un beige sera moins lumineux que s’il jouxte un noir. Les vérités coloristiques dépendent toujours du contexte global, elles sont donc à géométrie variable et les quelques règles que j’ai apprise des grands peintres parlent de point d’équilibre, de circulation de l’oeil et non de goût.
La perception des couleurs n’est le privilège de personne : intellectuels occidentaux ou ethnies coupées de tout, hémisphère sud ou nord, déserts de glace ou de feu… Les touaregs sont extatiques devant les ocres de leurs dunes quand Proust se régale d’un petit pan de mur jaune… Expliquer les couleurs selon le prisme de sa propre culture et élaborer son discours comme étant une vérité universelle, nous fait passer à coté de l’essentiel : l’expérience. Une couleur n’existe pas sans avoir été vue au moins une fois. Allez expliquer le bleu de la porcelaine aperçue en magasin… à moins de le comparer à un bleu que vous et votre interlocuteur connaissent déjà, c’est mission impossible.
Percevoir une couleur est avant tout une expérience sensorielle. Les couleurs sont à la fois gourmandise et poésie. Elles témoignent de notre sensibilité… chacun y projette ses goûts et ses dégoûts, sa vie, ses souvenirs et sa sensibilité…
Pour un coup d’essai, coup de maître Raphaëlle ! Ta palette est à elle seule un tableau. J’ai la chance d’emmener ta poésie et ton talent autour du cou comme tu le sais !
Magnifique
Plus intéressant que les leçons parfois un peu dogmatiques de Michel Pastoureau, le spécialiste des couleurs!